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Photo du rédacteurAssociation Defi autisme

Fred Weis, du basket à l'autisme

Dernière mise à jour : 8 juin 2022

Témoignage d'une ancienne légende du Basket français, Fred Weis, qui raconte comment il a vécu l'autisme de son fils, Enzo, 19 ans, du diagnostic à aujourd'hui.


Dans la véranda de sa vaste maison à Jourgnac (Haute-Vienne), l’ancien basketteur de l’équipe de France Frédéric Weis, médaillé d’argent aux JO de Sydney en 2000, a reçu Prolongation. Son fils Enzo, 19 ans, était là. Diagnostiqué autiste durant son enfance, il a bouleversé sa vie. Sans filtre, l’homme de 44 ans s’épanche sur son quotidien bouleversé de père et sur les trois étapes qu’il a traversées depuis la naissance de « Zo » : la douleur, l’acceptation puis l’engagement.


C’est une vaste demeure nichée dans la campagne de Limoges, à Jourgnac. Cinq poules picorent l’herbe du jardin, en compagnie d’autant de chats et d’un petit chien, nommé Kiki. Un jeune homme aux courts cheveux bruns, veste grise du club de basket du CSP Limoges sur les épaules, multiplie les aller-retours en courant, entre le portail et la piscine. Il s’appelle Enzo Weis. Il a 19 ans. Il est autiste. Son père Fred est un grand nom du basket français. Médaillé d’argent aux Jeux olympiques de Sydney avec l’équipe de France (2000) et ancien joueur du CSP Limoges, il est propriétaire des lieux avec sa compagne Fanny depuis l’automne 2019.

Dans ce vaste écrin de nature, tout a été pensé pour Enzo. Fred Weis : « On alterne la garde avec sa maman, Célia. On l’a régulièrement avec nous. Il adore courir dans la nature, donc on a quitté notre appartement de 60m² à Limoges pour une maison. Il adore la sensation d’immersion dans l’eau, donc on a pris une maison avec une piscine. Il a peur des animaux, donc on en a pris plusieurs, pour qu’il s’habitue et puisse se promener sans crainte. » Un exemple, parmi des centaines, qui témoigne du quotidien bouleversé de parent d’enfant autiste.

Fred Weis pose sa carcasse de 2,17 m sur une chaise, dans sa véranda. Gardant toujours un œil sur son fils, il dépeint avec sa voix rauque, d’un ton sûr, le bouleversement qu’Enzo a incarné, et incarne, dans son existence. Un témoignage intense , brut, parfois brutal, souvent tendre, et, surtout, profondément digne et humain.

Fred Weis, à quel moment de votre vie avez-vous ressenti l’envie d’être père ?

Très tôt, car je suis parti dès 14 ans de chez mes parents pour jouer au basket. Un sportif de haut niveau est déraciné. J’ai très vite ressenti le besoin de devenir parent, de recréer une famille. J’ai rencontré Célia (la mère d’Enzo, dont il est aujourd’hui séparé), très jeune à Limoges. On sortait ensemble depuis quinze jours et je voulais déjà un enfant (il sourit). Bon, elle m’a dit qu’on allait peut-être attendre un petit peu. Elle est tombée enceinte à 20 ans, j’en avais 24. Ce fut un immense bonheur.

Votre fils naît le 3 février 2002. Avec Célia, vous décidez de l’appeler Enzo.

Je suis Italien d’origine, par ma grand-mère. J’ai toujours voulu que mon enfant porte un prénom de son pays, en hommage. Enzo, c’était aussi en référence à Alonzo Mourning (ancien grand basketteur américain dans les années 1990-2000), que j’adorais.

Comment décririez-vous la découverte du rôle de père ?

J’ai tout de suite adoré. Je faisais tout pour qu’il aille bien. Je le promenais beaucoup, dans les rues de Malaga, où je jouais alors en Espagne, dans le parking de notre résidence, quand il faisait mauvais temps. J’adorais même me lever la nuit. Je me consacrais pleinement à ce nouveau rôle de père, au point que, pendant une période, j’en oubliais que j’étais basketteur.


Les premières années : « Je croyais qu’Enzo était un génie, un surdoué »


Votre carrière vous amène à Bilbao, où vous inscrivez Enzo dans une école maternelle française.


Un jour, son institutrice nous convoque avec Célia. Elle nous dit : « Il y a quelque chose de bizarre avec Enzo. » Moi, Italien d’origine, face à cette jeune enseignante, novice, et avec mon caractère de merde, je lui réponds : « Mais qu’est-ce que vous y connaissez, vous ? » Et je ne la prends pas au sérieux, je n’avais jamais rien vu de bizarre.


Vous ne voyiez pas ou vous refusiez de voir ?


(Il fronce les sourcils et réfléchit). Au début, je ne vois pas. C’est sûr. Je crois même que mon fils est un génie, un surdoué. À peine âgé de douze mois, il formule des phrases complexes. On apprendra plus tard qu’il ne faisait que répéter ce qu’il entendait dans les dessins animés et qu’il avait un réel problème pour communiquer. Mais sur le coup, je suis un papa fier, je me dis : « Waouh, il est fort mon fils ! Regardez comme il parle. » En plus, on ne voit pas Enzo avec les autres enfants. Il ne va pas à la garderie. Au fur et à mesure qu’il grandit, on finit par voir qu’il y a quelque chose… d’étrange. Oui, étrange. Il était asocial, il ne parlait pas aux autres. Il avait un côté monomaniaque. Il prenait ses voitures et les rangeait toutes dans un ordre hyper précis et carré.


Que décidez-vous alors de faire ?


On prend rendez-vous avec un spécialiste à Bilbao. Il observe Enzo puis livre son diagnostic. Je n’oublierai jamais ses mots : « Votre fils est autiste. C’est un handicap. Ça ne se guérit pas. Il n’aura jamais d’enfant. Vous n’aurez jamais de petits-enfants. » Comme ça. Brutal. Mon cœur se brise en 50 000 morceaux. Cette dernière phrase, c’était le pire. J’étais obsédé par l’idée de former une famille, avoir des petits-enfants. On repart abasourdis, sans en parler avec Célia. C’était un trop grand choc. Je vais à l’entraînement ensuite, mais je ne me souviens pas comment j’y suis allé. C’est un trou noir.


Que vous évoque l’autisme à cette période de votre vie ?


Un film, Rain Man, que j’avais vu et adoré, à 11 ans. Et c’est tout. J’avais conscience que c’était un handicap très lourd, sans savoir ce que c’était exactement.


La découverte de l’autisme : « Je me ferme, Enzo le ressent et c’est un cercle vicieux »


Quelle attitude adoptez-vous après avoir appris cette nouvelle ?


Je bannis complètement tout ce qui tourne autour de l’autisme. Je ne peux pas, c’est trop dur. Je fais semblant que ça va, mais ça ne va absolument pas. Ça empire. Le basket, qui me passionne, devient dérisoire. Je suis mal dans ma tête, donc je n’avance plus sur le parquet. Plus rien ne m’intéresse. Je n’ai plus envie de parler à personne.


Essayez-vous d’en parler à vos parents ?


Ils font partie des rares avec qui j’essaie. Mais ils sont d’une autre génération. Ils ne comprennent pas. Pour eux, sur le moment, il faut juste secouer Enzo et il ira mieux. Ils sont dans le déni. Quand ils le gardent, ils me disent que tout va très bien. Et c’est pareil avec les parents de Célia.


Votre couple souffre de cette situation.


On finit par se séparer. Ce n’est plus possible, pour elle comme pour moi. Je suis insupportable. J’ai des montées de colère, je ne parle pas, je tire la gueule. Je suis en dépression. Elle rentre en France, avec Enzo. Et j’insiste : ce n’est pas la faute d’Enzo, ni de Célia, absolument pas. C’est entièrement la mienne.


Quel rapport entretenez-vous avec Enzo à ce moment-là ?


Je n’arrive pas à faire des allers-retours pour le voir. Je n’ai pas envie de le voir. Pour deux raisons : je ne suis pas content de l’enfant que je vois et je ne sais pas comment agir avec lui. C’est horrible : j’ai l’impression qu’on n’a rien en commun. Je comprends que s’il ne fait pas quelque chose, ce n’est pas qu’il n’a pas envie, c’est qu’il n’est pas capable de le faire et que ça sera très compliqué à changer. Donc je me freine, et Enzo ressent que je ne suis pas bien. Il devient stressé. C’est un cercle vicieux.


La douleur : « J’avais une haine immense qu’il fallait que j’évacue »


Source ouest-france.fr

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